« Les rêves , les désirs et les espoirs sont les étoiles de nos vies. » Michel Bouthot - Selon la légende des Indiens d’Amérique : « Pour que votre rêve se réalise, murmurez-le à un papillon. Sur ses ailes, il montera au ciel et se réalisera car les papillons sont les messagers du Grand Esprit. » - « Il n y a qu´une chose qui puisse rendre un rêve impossible : la peur d échouer. » Paolo Coelho

samedi 7 janvier 2012

"LE RETOUR DU BIGOUDEN" - 07.01.2012- En ce jour du Noël orthotoxe, je vous présente ce conte de Jean Marcellle sur une illustration/aquarelle de Rita beaurain

LE RETOUR DU BIGOUDEN

Fils de la Bretagne et de l'océan, Karadeg est un patron pêcheur appartenant à cette admirable famille des loups de mer. Il a hérité de la passion de ses ancêtres et ne conçoit pas son existence à l'abri du vent du large. Il connaît l'océan, l'aime, mais surtout le respecte. Il sait que ses colères peuvent être terrifiantes quand elles rugissent entre les rochers de son pays natal. Déjà enfant, il écoutait avec beaucoup d'attention les impressionnants récits des anciens évoquant avec le langage de leur terroir les nombreux naufrages, les familles endeuillées, les pères et les fils que la terre de Bretagne n'a jamais revus. Dans les boîtes métalliques ayant contenu les biscuits bretons d'antan, d'innombrables photos aux bords dentelés sont précieusement conservées par les familles de marins. Elles ravivent d'angoissants souvenirs et rappellent aux hommes de la mer qu'ils doivent rester humbles devant la force des éléments.

Karadeg possède un bon bateau. Certes, ce n'est pas un de ces navires-usines qui partent des semaines durant vers les mers du monde entier pour une pêche intensive. Son « Bigouden » est un chalutier hauturier de 23 mètres, équipé pour la pêche au chalut de fond et parfaitement adapté aux conditions particulièrement difficiles des côtes bretonnes. Cinq marins pêcheurs l'accompagnent à bord et se partagent le travail ardu qu'implique une sortie de 4 ou 5 jours au large de leur pays. Le plus âgé de ces hommes, Yaël, travaillait déjà avec le père de Karadeg. C'est un marin pour qui la mer n'a plus guère de secrets mais lorsqu'il en parle à Gwenael, le plus jeune engagé depuis peu dans l'équipage, il ne cesse de répéter que ce métier est aussi dangereux que merveilleux.

Le « Bigouden » a quitté Brest le 20 décembre et Karadeg l'a emmené au-delà de la mer d'Iroise, au large de l'île d'Ouessant, pour pêcher le merlu. L'équipage est motivé car le patron a repéré sur ses instruments de bord d'importants bancs de poissons. Les marins bretons ne sont pas particulièrement tendres et de fréquentes engueulades éclatent sur le pont. Mais ils sont aussi conscients que si le poisson est là, il n'y a pas de temps à perdre. L'équipage s'active, les gestes sont précis, les chaluts remontent gonflés de merlus et dans la cale, les lits de glace se superposent avec la précieuse marchandise. Karadeg se réjouit toujours d'une bonne pêche et cela est bien légitime. Son bateau constitue un important capital à financer, le carburant coûte de plus en plus cher et il a depuis toujours le souci de bien payer ses hommes. Rentrer au port les cales bien remplies, cela le met de bonne humeur et celle-ci apaise son équipage.

Mais en dépit du succès de sa pêche, Karadeg est inquiet. La météo semble se détériorer très rapidement. Un message radio avec le contrôle de Brest le met en garde d'une importante dépression venant de l'Atlantique et se rapprochant rapidement des côtes bretonnes. Et puis, il y a des signes qui ne trompent pas le patron pêcheur, la température a chuté en quelques heures et des moutons d'écume apparaissent sur la crête des vagues. Karadeg a promis à ses marins de rentrer pour Noël et prend donc la décision, ce 24 décembre à l'aube, de mettre le cap sur le Finistère.

Yaël a compris. Il monte au poste de commande et interpelle Karadeg :

« Coup de tabac en perspective capitaine? »

« Oui mon vieux Yaël, et je n'aime pas beaucoup ça ! Regarde le baromètre ! Et d'ailleurs, Brest m'a prévenu ! »

L'étrave du « Bigouden » fend la houle et les embruns de plus en plus glaciaux balaient le pont. La pluie est devenue neige fondante et la mer grossit d'heure en heure. Karadeg exploite toute la puissance de son chalutier pour fuir la tempête, mais comme il le craignait, celle-ci le talonne et semble à nouveau décidée à s'offrir le grand festival d'écume avec les récifs de la mer d'Iroise.

En fin de journée, alors que l'obscurité s'est emparée de l'océan, le « Bigouden » se trouve piégé par les éléments. Karadeg n'a qu'un objectif, se mettre à l'abri dans la baie d'Ouessant. Les vagues immenses giflent le chalutier dans un tonnerre assourdissant et d'impressionnantes gerbes d'eau envahissent le pont.

Les hommes d'équipage ont rejoint leur patron sur la passerelle. Ils sont habitués à ce genre de situation mais les tempêtes qu'ils ont essuyées ces derniers temps étaient particulièrement violentes. Serait-ce donc vrai que la nature n'est pas contente ?

« Ca va aller les gars ! Le Bigouden en a vu d'autres ! »

Mais soudain, le chalutier plonge dans un creux démesuré, l'étrave s'enfonce dans la crête et un véritable raz-de-marée le secoue avec une force inouïe. Un hauban d'une perche de chalut se rompt sous le choc. La perche pivote sur son axe, se détache et s'écrase sur le toit de la passerelle. Le hurlement du vent et le grondement de la houle ne parviennent pas à couvrir le bruit fracassant de l'impact. Dans sa chute, la perche à littéralement fauché les antennes radio, GPS et radar. Elle a également brisé une vitre de la passerelle et de l'eau s'est répandue sur le tableau de commande.

Le « Bigouden » est devenu aveugle...

Karadeg fait le point avec ses hommes et tente de les rassurer. Mais, perdus dans la nuit, à quelques miles de la côte bretonne, en pleine tempête, ils sont bien conscients que leur survie dépend de l'expérience de leur capitaine et de l'indéniable qualité de son bateau.

Gwenael, le cadet de l'équipe, interroge Yaël :

« Pourquoi le capitaine ne poursuit-il pas sa route vers l'est pour se rapprocher de la côte ? »

« Sans instruments, ce serait du suicide mon gars ! Les récifs de l'archipel de Molène ont en piégé plus d'un et il ne s'agit pas de se laisser surprendre par les courants de la pointe du Raz, particulièrement puissants par gros temps ! »

Karadeg confirme :

« Pas question de me rapprocher des côtes à l'aveugle, sans repères je dois rester en mer en attendant que ça se calme ! Je vais maintenir le bateau face à la houle pour éviter les lames de travers. »

Les hommes se taisent. Ils observent avec admiration leur patron se battant contre les éléments. Le ciel et la mer ne font qu'un, le noir est profond et glacial, la neige se mêle aux embruns et le concert de la tempête assourdit les marins.

Au-dessus des instruments radio désespérément muets, l'horloge fonctionne. Il est minuit...

Yaël se met à chanter. Malgré le fracas de la tempête, les autres ont reconnu un chant de Noël breton... Dès le premier couplet, ses camarades reprennent en choeur le refrain :

« Kanomp Nouel gand levenez
Ra lugerno ar stered
Kanomp Nouel gans levenez
Ganet eo Salver ar bed ! »

Le regard tourné vers la proue du bateau, les marins du « Bigouden » chantent leur prière dans la langue de leur coeur. Quelques mots de breton invitent les hommes à « chanter Noël dans la joie pour que brillent les étoiles, le Sauveur du monde est né ! »

C'est alors que Merwen, un grand gaillard aux mains rudes tannées par le sel et le travail, écarquillent ses grands yeux de marin et, le doigt pointé vers l'avant du bateau, légèrement à babord, s'exclame en hurlant plus fort que la tempête :

« Regardez ! Là ! »

Entre deux rafales de vent, la neige a cessé de tomber, et on peut apercevoir une lueur au niveau de l'horizon. Karadeg fixe ce point lumineux et compte tout haut :

« Un, deux.......neuf ! Neuf éclats rapides en 10 secondes ! C'est le phare de Nividic, nous sommes sauvés ! »

Un « hourra » retentit sur la passerelle et le capitaine met le cap sur cette lumière de la providence.

Quelques heures plus tard, le « Bigouden » est bien à l'abri, dans la baie d'Ouessant, et les marins se réjouissent de pouvoir passer la fête de Noël sur la terre ferme.

Chacun dans sa famille pourra raconter que dans les pires tempêtes de la vie, il suffit d'une lumière pour retrouver l'espoir. Comme une étoile à Noël...

Texte : Jean Marcelle - Aquarelle :Rita Beaurain

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