« Les rêves , les désirs et les espoirs sont les étoiles de nos vies. » Michel Bouthot - Selon la légende des Indiens d’Amérique : « Pour que votre rêve se réalise, murmurez-le à un papillon. Sur ses ailes, il montera au ciel et se réalisera car les papillons sont les messagers du Grand Esprit. » - « Il n y a qu´une chose qui puisse rendre un rêve impossible : la peur d échouer. » Paolo Coelho

samedi 4 janvier 2014

Rainer Maria Rilke "Pour écrire un seul vers"


                     

Poésie

Mais, hélas ! les vers sont si peu de chose quand on les écrit trop tôt!
Il faudrait attendre, amasser du sens et de la douceur pendant toute une vie,
une longue vie si possible, et puis, tout à la fin, peut-être
pourrait-on alors écrire dix vers qui soient bons.
Car les vers ne sont pas, comme les gens le croient,
des sentiments (ceux-là viennent suffisamment tôt),
— ce sont des expériences.

* * * 

          "Pour écrire un seul vers "

Pour écrire un seul vers, il faut avoir vu beaucoup de villes, d’hommes et de choses, il faut connaître les animaux, il faut sentir comment volent les oiseaux et savoir quel mouvement font les petites fleurs en s’ouvrant le matin. Il faut pouvoir repenser à des chemins dans des régions inconnues, à des rencontres inattendues, à des départs que l’on voyait longtemps approcher, à des jours d’enfance dont le mystère ne s’est pas encore éclairci, à ses parents qu’il fallait qu’on froissât lorsqu’ils vous apportaient une joie et qu’on ne la comprenait pas (c’était une joie faite pour un autre), à des maladies d’enfance qui commençaient si singulièrement, par tant de profondes et graves transformations, à des jours passés dans des chambres calmes et contenues, à des matins au bord de la mer, à la mer elle-même, à des mers, à des nuits de voyage qui frémissaient très haut et volaient avec toutes les étoiles, – et il ne suffit même pas de savoir penser à tout cela. Il faut avoir des souvenirs de beaucoup de nuits d’amour, dont aucune ne ressemblait à l’autre, de cris de femmes hurlant en mal d’enfant, et de légères, de blanches, de dormantes accouchées qui se refermaient. Il faut encore avoir été auprès de mourants, être resté assis auprès de morts, dans la chambre, avec la fenêtre ouverte et les bruits qui venaient par à-coups. Et il ne suffit même pas d’avoir des souvenirs. Il faut savoir les oublier quand ils sont nombreux, et il faut avoir la grande patience d’attendre qu’ils reviennent. Car les souvenirs eux-mêmes ne sont pas encore cela. Ce n’est que lorsqu’ils deviennent en nous sang, regard, geste, lorsqu’ils n’ont plus de nom et ne se distinguent plus de nous, ce n’est qu’alors qu’il peut arriver  qu’en une heure très rare, du milieu d’eux, se lève le premier mot d’un vers.

Les Cahiers de Malte Laurids Brigge, Rainer Maria Rilke -1910

Aucun commentaire: